jeudi 22 mars 2007

Recyclage

Le 23 septembre 2006 j'ouvrais sur la toile un petit espace similaire à celui-ci, qui allait refermer ses portes aux alentours de Noël. Les mois ont passé, la vie s'est écoulée, et pourtant en relisant quelques uns des textes d'alors, rien n'a vraiment changé. Il est de jolies petites histoires comme ça, qui ne perdent rien. "Le Fleuve est pareil à ma peine, il s'écoule mais ne tarit pas." Ce soir je n'ai que l'envie de les "rééditer", de faire du copier-coller, en somme de leur passer un coup de chiffon, aux accents de recyclage. Voici le tout premier :

Le revers de la passion, 23 septembre.

Nous mettions tout notre talent à jouer au jeu des enfants qui s'aiment. "Tire, relache, pousse moi, tu es jolie, je t'arrose, appuie toi sur moi.." C'était là notre quotidien. A la manière d'un arbre dont les racines jouent avec le cours d'eau qu'elles atteignent, je la regardais me sourire, elle aimait me séduire et m'offrait ses yeux comme un bijoux sucré. De sa nuque je parcourais le grain, mes doigts attentionnés à ne pas la blesser. Ma petite soeur en somme. Ma petite soeur qui sourit.
Je me suis perdu il y a peu. C'était il y a quelques jours, en buvant des Heineken dans un petit bistrot clando.Tu sais, un de ces bistres où se rencontrent sous les goémons de la nuit les tellines et les arapèdes qui peuplent les hauts fonds; le soir, quand ces grands fauves viennent s'abreuver au comptoir usé, il s'en passe des aventures ! J'écoute, je note sans noter, ces petites histoires qui "de soirs pisseux en matins blêmes vous tirent au fond du trou". La tête accoudée à la coque du raffiot, j'étais là, les yeux crispés sur l'étoile rouge de la bouteille verte.




Avec un ami nous discutions du quotidien, de nos amours ratés, de nos joies passées, de nos chimères. Il évoquait un improbable voyage ensemble, un de ces french roadmovies où complètement défoncés l'on sillone les villes au hasard des panneaux officiels. "A gauche ou à droite ? Roule roule copain! On verra bien.." .. et puis tout à coup, elle est descendue comme la cire d'une bougie depuis longtemps allumée : c'était une idée de trop, une idée à la con, une idée comme on ne devrait jamais en avoir.

Tu vois, elle était là, dans mes pupilles, et semblait les raviver. Elle me tournait autour, flottant à la manière d'un spectre d'Hollywood, m'embrassait, me possédait. Son étreinte si forte que je ne pouvais bouger, mon coeur aux abois. "Tu devrais lui dire" "Tranche la question" "Dis lui de te répondre" "est ce qu'elle t'aime ?" "Tu peux pas rester comme ça..."
La petite voix courait dans ma tête à la manière d'un lutin irlandais : tantôt cachée derrière une banalité de notre discussion, elle surgissait à chaque recoin de ma réflexion. J'aurai voulu couper le son de cette radio interne, mettre en pause cette voix omniprésente. Inutile : à chaque effort pour la contrer, sa force décuplait, jusqu'à m'envahir tout entier. Pris au piège, le ventre retourné et les mains tremblantes, sa torture me fît vaciller : j'acceptais.
"Ok très bien j'ai besoin de clarté, je lui poserai la question", criais-je en moi-même. "Lâche moi cruelle pensée, lâche mon esprit je t'obéis.." Le lendemain je lui posais la question : "Veux-tu que nous vivions ensemble?".
Elle a dit non, et depuis j'ai dans la gorge le goût ferreux du revers de la passion.
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Il est un esprit des contradictions qui me suis,me précède partout; depuis son écriture, quelques six mois plus tard, ce petit texte s'avère toujours d'actualité. Stupendo, no ?



L'esprit des contradictions, 1er octobre

Esprit, tu es là.
Quand je me réveille, ton dos et tes épaules à côté de moi
Quand j'ouvre les yeux, c'est ton regard que je vois
Quand on me parle, c'est ta bouche qui s'articule
Et tous les mots ont le son de ta voix
Je regarde la lune, à demi clarté
Dans son ombre ta joue et tes cheveux
Quand je bois, ton sourire me fait des signes au fond du verre
Tes mains frôlent les miennes sans que je les regarde
A cheval sur mon dos, tu joues avec les ombres
Et déposes un voile de toi,
Devant chacun de mes pas.
Je lève les yeux au plafond,
M'interroge, me pose des questions
Mais rien ne sort sinon
Le bruissement de tes boucles,
L'allonge de tes cils,
Et la douceur de ces hanches
Qui bousculent ma démarche
Tu es partout où je suis
Tu es partout où je pense
Et il me plaît de fermer les paupières
Pour mieux sentir ta présence.
Reste près de moi, petit esprit des contradictions.

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Pour terminer la séquence recyclage (yen aura d'autres...et puis c'est tout. Je fais ce que je veux c'est MON blog..) voici 2 textes qui se répondent. L'un a été pondu dans l'espoir, le second dans le chaos de la déception. La structure est identique. "De l'amour à la haine il n'y a qu'un pas mon amour "

Imagine Apt - Forcalquier


A mi-chemin vers Rustrel on remplira nos bouteilles de l'eau fraîche de la fontaine des Jean-Jean. Cette eau elle est magique. C'est là qu'on se retrouve l'été venu, y chercher sa fraîcheur et ses amis. Seuls les claquements de rires et de pétanque viennent déranger le glouglou de l'eau et le tssiitsssit des cigales. Les boules s'entrechoquent à la lumière verte des bouteilles vides qui encombrent le rebord en pierre du bassin. Les "vertes" pleines sont au fond de l'eau, entre la mousse et les petits poissons qui font des ronds. Elles attendent là, dormantes comme des amphores, jusqu'à ce qu'une main intrépide les crochète et les remonte au soleil de juillet. On trinque alors à la santé de chacun, on s'arrose parfois, et on reprend nos discussions provençales à peine interrompues. L'été s'écoule doucement aux Jean-Jean.

A Rustrel on s'arrêtera prendre un chocolat pour le simple plaisir de le faire, et regarder le colorado comme si on y était. Ch'te parlerai de notre jadis ici, juste en face, sous les arbres, entre la musique, les alcools et l'amour. De la nuit et du soleil qui se levait au petit matin, et qui éclairait au bleu tous nos habits crades et nos coeurs déchirés. On se quittait bien plus tard. La boulangerie comme un phare olfactif où le patron nous accueillait dans la nuit, les yeux rouges dans un paradis de blanc.L'odeur du pain chaud nous surexitait, et il s'amusait de nos blagues pourries. Puis on repartait comme on repartira, avec un petit quelque chose à grignoter, car la route qu'on se cherche est plutôt longue.

Des prés, de vieilles bâtisses, la montagne. Allez viens, on s'emmène à Oppedette, voir ses belles gorges. Enfin tu iras si tu veux, moi j'ai peur du vide. Ou alors à plat ventre au bord du précipice, la tête dans le vent. Et tu sens l'odeur de la sariette sous nos pas ? Le spectacle est un peu plus loin. Une fois les murs de vieille pierre dépassés, on prendra la route de Simiane. A une envolée de pinsons il existe un petit ruisseau qu'on remontera jusqu'aux vasques sculptées par l'érosion. Le Saut du Moine. Entre les chênes blancs et les pins sylvestres, on se mesurera aux ricochets, à travers l'eau toujours claire de ses cascades. Comme tu vas gagner, j'essaierai de te perdre au détour d'une vire, et tu me rattraperas avec ton sourire. On écoutera les geais se chamailler avec les merles, les tourdres tout là haut et les toutes petites pétouses toutes proches. Puis on redescendra la tête chargée de chlorophylle.

On en franchira des hameaux, de ces hameaux où les oies et les chiens se pousseront à peine pour nous regarder passer comme des ovnis. On s'arrêtera au Chapeau Rouge. Le petit resto de Simiane, à l'immense cuisinière en fonte, accueille bien à midi. C'est là que je mangeais quand je travaillais sur les chantiers il y a deux hivers, les doigts et le nez gelés, saoûlé par le brouhaha de la salle embrumée d'autres arpètes comme moi. C'est comme une cantine à certaines heures. On s'embrasse, on parle fort en se déboutonnant, et si les patrons parlent de leurs affaires, les ouvriers parlent surtout du froid et du travail au black. Un petit monde dans un coin paumé. J'aime beaucoup.

Un fromage de chèvre dépaqueté de ses feuilles de marronnier sur une tranche de pain de seigle nous serons à Banon; là je t'emmènerai dans une librairie unique ;) j'en dis pas plus... Et puis nous voilà à Ongles. Au début de l'été c'est ici que se retrouvent tous les marginaux des alentours pour une grande fête qui sonne la fin de neiges. On y amène son fromage, son vin rouge, et toute sa passion printannière. Les filles ont des fleurs dans les cheveux, et les garçons les yeux qui brillent; ça sent l'encens et la ganja, et les groupes qui s'enchaînent sur scène ne jouent que du plaisir. Les soirées se finissent bien souvent vers Limans, à Longo Maï, mais c'est une autre histoire. La route étroite nous descendra jusqu'au barrage qui surplombe Forcalquier.



Copain-Copine, 5h41, 21 octobre

A mi-chemin vers le royaume des morts on remplira nos gourdes de cuir moisi de l'eau sale de la fontaine des Muets. Cette eau elle est diabolique. C'est là qu'on se retrouve l'hiver venu, y chercher sa pitance et ses remords. Seuls les claquements des os et de fouet viennent déranger le glouglou de l'enfer et le pchiii Pchhhhii de la chair sur les flammes. Les têtes s'entrechoquent à la lumière blafarde des spectres de l'amour qui encombrent le rebord en pierre du bassin. Les anneaux de la passion sont au fond de l'eau, entre la mousse et les petits scorpions qui font des ronds. Ils attendent là, dormants comme des chiens, jusqu'à ce qu'un coeur intrépide les crochète et les remonte à la surface. Ils te prennent alors à la gorge, te traversent parfois, et on reprend nos discussions mentales jamais interrompues. L'amour s'écoule doucement chez les Muets.

Chez Hadès on s'arrêtera prendre un coup de spleen pour le simple plaisir de le faire, et se regarder en spectacle comme si on y était. Ch'te parlerai pas de mon jadis ici, juste en face, sous les pensées morbides, entre la colère, les remords et l'amour fou. De la nuit et du soleil qui se ne levaient jamais, et sans jamais éclairer au pourpre mes habits crades et mon coeur déchiré. On se quittera bien plus tard. La crédulité comme un phare olfactif où le cerveau m'accueillait dans la nuit, ses veines rouges sur un flan laiteux. L'odeur d'y croire pour de bon me surexitait, et il s'amusait de ma naïveté maladive. Puis je repartais comme on repartira, avec un petit goût de feraille dans la bouche. La route qu'on se cherche est plutôt longue.

Des terres dévastées, de vieilles bâtisses écroulées, des regards délavés. Allez viens, on s'emmène chez ma colère, voir ses belles gorges. Enfin tu iras si tu veux, moi j'ai peur du vide. Ou alors à plat ventre au bord du précipice, la tête dans le vent. Et tu sens l'odeur de la haine sous nos pas ? Le spectacle est un peu plus loin. Une fois les murs de l'injustice dépassés, on prendra la route de mon âme. A une envolée de corbeaux il existe un vieux ruisseau de sang qu'on remontera jusqu'aux vasques sculptées par mon inconscient. Le Côté Sombre. Entre les chaines de Mithril et les sexes désoeuvrées, on se mesurera au jeu des ricochets dans le crâne, à celui qui chialera le premier. Comme tu vas perdre, j'essaierai de ne plus te revoir, et tu me rattraperas avec ton sourire. On écoutera les autres nous conseiller, les espoirs tout là haut et les toutes méchantes envies toutes proches. Puis on redescendra, la tête chargée de dégoût.

On en franchira des faux-semblants, de ces instants où les voix et la vie se pousseront à peine pour nous regarder passer comme des pestiférés. On s'arrêtera à l'arrivée de la Honte. Le petit regret de nos actes, à l'immense carapace d'airain, accueille bien ses hôtes. C'est là que je me recueillais quand je m'allongeais sous les planches il y a deux hivers, les yeux et le nez trempés, saoûlé par le brouhaha de ma tête embrumée d'idées préconçues sur l'amour. C'est comme une prison à certaines heures. On s'embrasse, on parle fort en se déboutonnant, et si les propos tiennent aux affaires courantes, les désirs parlent surtout dans le désert. Un petit monde dans un coin paumé. J'aime beaucoup.

Un flots de paroles consensuelles sur une tranche d'hypocrisie nous y serons bientôt; là je t'emmènerai dans un ennui chronique ;) j'en dis pas plus... Et puis nous voilà dans l'ignorance. Au début de l'hiver c'est ici que se retrouvent tous les foudroyés de l'amour pour une grande fête qui sonne la fin des hostilités. On y amène sa fausse aisance, son art de la jalousie, et toute sa passion revancharde. Les filles ont des orties dans les cheveux, et les garçons les yeux qui brillent; ça sent le blues et la séparation, et les groupes qui s'enchaînent sur scène esquissent la vie qui continue. Les soirées se finissent bien souvent dans la drogue, mais c'est une autre histoire. Cette route étroite nous descendra tous les deux jusqu'au barrage de l'amitié perdue.

Le triomphe de la Mort, Bruegel.

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